C'était un 24 décembre, un jour comme tous les autres pour l'Homme, un jour où il faut couper du bois pour chauffer la maison, des allers-retours en forêt, tronçonneuse en main pour ramener les buches coupées et mises à l'abri, les fendre au merlin et les rentrer dans la remise pour chauffer toute la maisonnée.
Pour la Femme et pour les enfants, c'est jour d'effervescence, c'est Noël ce soir, fête de l'année ou les enfants seront rois, où le Père Noël a choisit patiemment chaque cadeau en fonction des personnalités et des souhaits de chacun .
Le sapin frais, arraché à force d'influence à la forêt puisque l'Homme a tellement difficile d'admettre qu'on puisse enlever un arbre à sa terre natale pour le voir se désècher dans une maison, occupe malgré tout la place centrale et brille de milles guirlandes et de boules récoltées ou confectionnées par les enfants au gré des déménagements et des années. A son pied, les yeux des bambins sont rivés sous les cadeaux, tous emballés de papiers scintillants.
C'est que nous sommes dans un pays reculé, loin de tout et où le 21ème siècle a bien du mal à trouver sa place. Un coin de France oublié, ces Hauts-Plateaux à 1200 m d'altitude de moyenne dominés par le Mont Mezenc, là où la Burle chasse la neige d'hiver empêchant parfois pendant quelques semaines les transports scolaires, là où vivre en autarcie est encore une réalité et ou le troc est bien plus parfois monnaie que l'euro... l'habitat y est encore très isolé et l'idée de voisinage ne se mesure qu'en kilomètre. Un pays où le train n'est accessible qu'a plus de 50km et les avions ne se voient que dans le ciel tellement haut qu'ils en sont presque un rêve..
Ici, les gens peuvent vous paraître durs, comme leur climat, comme les pierres de grès et de lave qui bâtissent leurs maisons. Si un Homme du Haut-Plateau ne « rougne » pas dès son levé, sa femme vous dira qu'il va mal.... c'est ainsi, on ne montre pas son cœur, même si chacun d'eux reconnaitra qu'il habite le plus beau pays du monde, ce pays de cocagne qui se couvre de morilles dès mars, dont les près jaunissent de jonquilles en avril, royaume de la myrtille, de la framboise sauvage et de la mûre en été, des cèpes, girolles, chanterelles, pieds de mouton dès le mois d'aout sans y compter le gibier à poil qui y batifole et de la neige immaculée de l'hiver...Nulle autre pays que je connaisse ne ressemble a ce paradis... mais chhhhuuuuttt ! Il ne faut pas le dire !
Le soir du 24 décembre, la famille se réunit autour de la grande table, au menu, chevreuil, haricots et patates, le tout venant du jardin et de la forêt environnante, la buche est faite d'une conserve de myrtille de l'été jalousement gardée pour l'occasion, la gnole des prunes du pré sous la raze finit d'engourdir l'homme pendant que son épouse et la famille rejoigne à travers la neige l'église du village proche (4km quand même!) pour assister à la messe de minuit...
Il fait chaud au coin du feu de bois, les buches gémissent dans la cheminée et la flamme virevolte et fait trembler les ombres tandis que l'Homme s'assoupit....
Mais la nuit de Noël est bien étrange et la légende dit...... « à l'heure d' anniversaire de l'Enfant Divin, les animaux, en mémoire du bœuf et de l'Ane qui ont veillés sur lui, ont pendant quelques minutes la possibilité de communiquer par la parole avec les humains »
L'homme est pourtant habitué que Rex,son gros chien de garde, croisé bouvier de toutes nationalités, plein de poils dans les yeux, pose sa patte sur sa jambe pour réclamer de l'attention.
Mais ce soir là, bien qu'a moitié endormi, non seulement il sent la patte de Rex, mais il lui paraît entendre sa voix :
« Maître ? Maître ? »
Négligemment il pose sa main sur la tête du chien dans un geste machinal. Mais la voie reprend « Maître ? Maître ? »
Interloqué, il ouvre les yeux... ceux du chiens, au travers de ses poils sont fixés sur lui... il regarde mieux.
« maître ? »
mon chien parle... rêve ou réalité ? Mon chien parle... bah ma foi...pourquoi pas ?
« Rex ? »
« Oui maître, c'est moi, Rex, ton «gros » comme tu m'appelles quelque fois
l'Homme s'assied.
« Y'a un truc qui va pas, là... »
mais Rex remet sa papatte...
« maître ? C'est la nuit de Noël, je n'ai que quelques minutes pour parler avec toi, écoute moi.. »
« bon ben ma foi, au point ou j'en suis » pense l'homme... « je t'écoute mon chien »
et Rex reprend
« je fais tout ce que je peux pour toi, tout ce que tu me demandes : je surveille la maison, j'aboie quand il y a danger, je montre les dents à ceux que tu ne m'as pas présenté en ami. Bien sûr en échange tu me nourris, mais tu sais, j'aime aussi avoir quelques caresses et quelques marques d'affection... et tu ne m'en donnes guère, comme si j'étais juste à ton service, juste un domestique. »
A ce moment là, la porte de l'écurie s'ouvre et arrive Mimi et Léclair, les teckels qui vont chasser avec l'homme en saison. La Mimi, une vieille chienne ardente à la chasse s'est fait crever un œil par un sanglier il y a quelques années. Mais elle reste vaillante.
« C'est vrai » s'insurge Mimi !
« Depuis les années que je te lève des lièvres, des chevreuils et des sangliers, je me suis fait blesser pour t'aider, j'ai souffert, mais à part quelques tapotements insignifiants, tu ne m'as jamais vraiment remercier ! Je dors dans un coin de paille dans une étable, au froid et tu ne me laisses courir à ma guise qu'en saison de chasse ! Et encore je ne me plains pas trop, certains de mes confrères sont à la chaine toute l'année ! Moi je chasse, je t'ai donné une progéniture, dont L'éclair, tous bons chasseurs et aucun remerciements mis à part ces croquettes bon marché, identiques 365 jours par an dont nous nous nourrissont ! «
L'Eclair est plus jeune, juste 2 ans et demi et n'ose pas encore affronter le maître, mais il ose s'exprimer...
« c'est vrai maître, petit, j'ai fait des bêtises, mais là je fais tout mon possible pour te plaire, même si je ne sais pas toujours ce que tu attends de moi.... »
du coin de la cheminée une voix se fait entendre :
« teheuh, teheuh teheut, koff, koff koff »
c'est le vieux Bambou, un vieux chien de 12 ans croisé caniche et pékinois qui avait été receuilit par la fille de la maison tout petit et qui maintenant coulait des jours heureux de retraite...
« moi aussi, tu ne m'as jamais considéré ! J'étais un chien qui ne servait a rien, un chien de compagnie, donc inutile pour toi....j'ai pourtant fait la joie de tous les enfants de la maison, me prêtant à tous leurs jeux, interprétant leurs paroles, jouant les fous du roi pour les amuser, et en étant parfois a l'écoute de leurs tristesse d'adolescent, confident silencieux toujours près à les réconforter... et maintenant que je suis vieux, quelle considération as tu pour moi ?? »
Quelle ne fut pas la surprise de l'Homme de voir le poulailler dans son entièreté passer par la porte de l'écurie, Hector le coq en tête...
« ouais bien les gars ?? et nous ? »
Plic et Ploc les deux poules noires, la « Rousse », Blanchette, la
Hupée , la poilue qui a des plumes sur les pattes, la naine, la « sale » pleine de taches et les autres.... Hector pointe son aile vers l'homme avec un air fâché :
« tu nous prends nos œufs pour te nourrir et la plupart d'entre nous finissent sous le grill ou en bouillon ! Quelques fois tu oublies de nous donner du blé, et nous devons nous débrouiller... »
l'homme réagit et s'insurge :
« mais je vous laisse gambader dans le pré et je vous ferme la nuit pour vous protéger des renards ! »
Hector se recouvre de son aile tout en se grandissant sur ses ergots :
« ben il ne manquerait plus que ça ! Imagine que les poules se mettent en grève des œufs ou qu'on partent tous ? »
« C'est vrai ça !!! »
c'est le cri des lapins qui arrivent en bondissant derrière les poules ! La « grise », jolie femelle en avant, le mâle tout blanc et les 4 autres....
« tu pourrais avoir un peu de pitié pour nous ! Nos petits te permettent de nourrir les tiens ! et en plus » dit la Grise, « ta Femme récupère leurs peaux pour que tes petits à toi aient bien chaud en hiver ! »
« Faut prévenir Brigitte Bardot » pense Rex, « moi j'ai pas envie de finir en manteau ! »
La colère gronde, les poules se perchent sur les bois du canapé, les chiens entourent le maître, les lapins courent partout …
une voix se fait entendre
« miaou !? Miaou ? Et moi ? »
C'est gros Minou, un chat noir de chez noir, énorme ! D'une taille impressionnante ! Pas obèse, mais long, haut, et avec des yeux verts de chez vert !
« Et moi ?
Dit gros Minou..
« moi je ne demande rien, tu fais l’indifférent ? Je fais pareil ! Je fais mon job de chat, je chasse les souris, les nombreuses bestioles qui pourraient anéantir tes récoltes de choux et de patates, le blé des poules, le son des lapins, les croquettes des chiens, mais pourrais tu au moins de temps à autre m'exprimer un peu de reconnaissance ? Tu ne le fais jamais, c'est toujours moi qui me dévoue pour te faire une caresse sur la jambe quand tu daignes m'ouvrir une porte pour rentrer ou sortir ! Jamais, tu entends, jamais tu ne fais un geste vers moi ! »
« JAMAIS ! JAMAIS ! JAMAIS ! Reprennent tous les animaux en cœur ! »
Le cercle se rétrécit... Rex a toujours la patte sur le genou du maître, Minou est sur la table basse devant lui, Mimi et Léclair sur le canapé de chaque coté, les poules et Hector derrière et les lapins autour de Rex... et tous ces yeux brillants qui le regardent !!
« JAMAIS TU NE PENSES A NOUS ! JAMAIS ! JAMAIS ! Jamais..... jamais … »
Quand la femme et les enfants rentrent de la messe de Minuit, ils trouvent l'Homme assoupit dans son canapé.... la main étendue sur Rex qui est allongé à ses pieds... Mimi est étendue de tout son long devant le feu de bois et L'Eclair se prélasse dans un fauteuil.. Bambou ronfle tranquille dans son panier.
Quand la femme monte dormir, elle trouve Minou étendu sur le lit à la place de l'Homme ; il lui jette un regard tout vert, comme victorieux..
Depuis cette nuit de Noël, elle est aussi quelques fois étonnée d'entendre l'Homme parler dans le poulailler ou devant les lapins... mais à qui s'adresse t'il ? Toujours est 'il que depuis, les poules font des tas d’œufs, couvent comme jamais auparavant, que les lapins, se reproduisent, grandissent et font le bonheur en chair et en peaux de toute la famille...
Et quand on rentre par surprise à Basset, on peut trouver l'Homme en plein calin avec Minou ou Rex, bien qu'il s'en défende parce que « grrrmmmbbbllfffrr ! Saloperie de Chat ! »
Vous pensez bien, ici, sur nos Hauts-Plateaux, battus par la neige et le froid, les hommes se sont endurcis, ce sont des vrais durs... au cœur tendre !